L'Incendie

          C'est la nuit. Rouge. Et sale. Comme la dent qui défend la gueule de la panthère. Il fait chaud et partout la couleur danse, du sang, du vent, un air que Prom ne connaît pas. Moi Prom je me tiens droit. « Il faut se tenir droit », a dit le père, alors Prom appuie très fort ses jambes contre la terre, tire le dos et lance ses yeux dans le ciel. Tout là-haut sur les arbres le grand visage blanc a la forme d'une mangue, il brille et s'il y avait un lac, moi Prom je pourrais le voir tout entier flotter sur l'eau, et avec lui le ciel et les autres points blancs immobiles dans le noir.

          Maintenant dans la nuit rouge devant les arbres chauds, quelque chose comme une bête remue dans ma poitrine. La forêt tremble, et moi aussi. Moi Prom je suis seul. Pour la première fois je suis seul. Pour la première fois je vois la nuit si rouge, si chaude, comme si moi Prom j'avais trouvé la route vers le soleil, comme si moi Prom je lui marchais dessus. Personne n'est là pour expliquer à Prom. Et Prom a peur. Et Prom a soif. Et Prom a les yeux grands ouverts.

          Une antilope ne mange pas une autre antilope, une hyène ne mange pas une autre hyène, mais un homme peut tuer un homme. Prom l'a vu. Trois chasseurs de l'autre tribu, celle qui ne parle pas comme la tribu de Prom, celle qu'on ne comprend pas. Les lances ont surgi et la gorge de Groum s'est ouverte, et Groum s'est effondré. Ma tribu s'est enfuie, et moi Prom, je me suis enfui avec elle. Et la carcasse de l'éléphant est restée près de la carcasse de Groum, et les trois chasseurs qu'on ne comprend pas ont emporté avec eux la chair de l'éléphant. Un homme peut tuer un autre homme. Un homme pourrait tuer Prom pour comprendre ce qu'il voit, pour l'emporter dans sa tribu. Et Prom ne comprend pas quel est cet animal qui remue devant lui, rouge et chaud dans les arbres, je ne sais pas quel est l'outil pour le chasser.

          Prom ne sait pas jaillir comme la bête sur sa proie, les jambes et les bras de Prom ne sont pas assez forts et ils ne répondent pas à tout ce que Prom leur demande. Je suis jeune. Depuis que je suis sous le ciel il y a eu autant d'hivers et d'étés qu'il y a de doigts dans les mains de Prom. Bientôt père sera mort et je prendrai sa place. Je serai un ancien. Menant les chasseurs au gibier, prononçant les bruits qui parlent aux enfants qui écoutent, taillant la pierre et guidant le campement loin du froid qui nous suit.

          Mais maintenant dans la nuit rouge devant les arbres chauds, moi Prom je tremble, et je suis seul dans la forêt qui bouge. C'est la nuit. Rouge. Et sale. Ce qui me fait trembler ce n'est pas le froid, ce n'est pas le chaud qui pourtant fait courir des rivières sur ma peau. Ce qui me fait trembler c'est l'animal qui vit dans ma poitrine, qui remue et qui hurle. Les grandes langues rouges caressent le ciel comme un soleil qui vit la nuit. Le cœur de Prom tape à l'intérieur de Prom. Il veut s'enfuir pour se sauver.

          Comme un œuf qui éclot.

         Bien plus tard, quand bien plus d'hivers et bien plus d'étés auront passé qu'il n'y a de doigts aux mains et aux pieds de Prom, et aux mains et aux pieds des hommes et des femmes de la tribu de Prom et aussi aux mains et aux pieds des hommes et des femmes de la tribu qu'on ne comprend pas, on dira que quelque chose est né cette nuit-là. On dira que c'est le feu. Mais ce qui s'est éveillé à ce moment dans la poitrine de Prom et tout autour dans la forêt, dans le ciel, dans la terre, ce n'est pas ça. Pas seulement. Ce qui est né c'est la poésie. Prom l'a sentie. Il regarde la forêt qui bouge, il regarde la forêt rouge. Et dans la tête de Prom quelque chose a changé, quelque chose est là qui n'existait pas avant. De l'eau salée glisse sur ses joues, la langue vient la boire, et l'appel monte dans la nuit. Qu'appelle-t-il ? Prom ne le sait pas, mais Prom appelle quelque chose dans la nuit. Et attend-il seulement qu'on lui réponde ?

 

Pierre Renier

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