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Pernas tortas

     Ecrire sur une œuvre d'art, c'est écrire sur un morceau de temps. Le temps présent n'est pas fait que des choses qui sont présentes : il y en a qui, éteintes et aspirées par le passé, le font encore vibrer, comme le Big Bang dont l'écho allume de petites lumières blanches sur nos téléviseurs. Ce sont les œuvres d'art. Certaines sont figées dans la glaise. D’autres le sont dans les mots, ou dans les vibrations qu’un artifice imprime à l’air ambiant. L'oeuvre est souvent « maudite », parce qu'on tarde à la comprendre, qu’on la comprend trop tard. Ce qui fait sa beauté la rend inefficace. L'artiste, souvent mort dans l'indifférence et l'incompréhension, moqué, humilié, déchu, laisse derrière lui quelque chose de tordu, quelque chose de gênant, d'en dehors du normal, qui nous mène sur la scène de la vie par une porte latérale. Ces artistes insoumis, inadaptés aux règles qui régissent leur époque, ont tenté de s'en extraire par une trappe dérobée que peu connaissent. Ils sont presque invisibles, mais ils sont là, près de nous, toujours en deçà des étoiles parce qu'ils abreuvent la terre. Leurs œuvres, quelles qu'elles soient, racontent de grandes histoires, nous parlent du présent, du futur. Toujours et de tout temps, elles ont révolutionné la vie de leur pays, gonflé l'âme de leur peuple, bouleversé la société dont elles étaient issues, ouvert une lézarde dans un avenir qui semblait bouché et qui, sans elles, n'aurait pu accoucher.

  

     S'il y a une œuvre qui réponde à ces critères, c'est bien la vie de Mané, l'enfant pauvre, petit métis indien des environs de Rio, le chasseur de mainates. Garrincha, c'était son surnom, et le nom indigène de ce petit oiseau que l'enfant avait capturé pour apprendre à voler comme lui.

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Dâ ' i

Photos comme des fenêtres ouvrant les vents anciens. Cigarette enluminée des leçons de vaillance, l’oncle détache l’ombrelle des phares et bavarde le brossage des cycles du temps. Pantalon en pantoufle à l’entrée du domicile, il erre comme un nuage parmi d’autres nuages. Sa voix tient une canne chevrotante, même vieillesse que les tours sur eux-mêmes des petits garçons polis près de Zâyandeh-rud. L’ami est sans chaussure, marche sur le lit des morts avec l’antiquité d’un roi, agrippant son territoire tel le poète qui éprouve trop son âme. Et sur la commode croulante de Khayyam et Hafez, une chape que nous baptisons poussière pousse pareille à un lierre, bouclier amateur de ballades et poèmes. 

 

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Le Vent

au-delà des falaises le vent ornait mes pas de légèreté

un vertige entraînant plus tard je me perdrais

en marées et décombres de mon surplomb

je m'abandonnais à l'écueil de mes soucis alité

à l'écart du monde où souffle l'écume

sur le vent j'errais pauvre vêtu sans fantôme

ni aspect sans violente bourrasque de

printemps guidant mes pas sur le vent

j'errais sans manteau ni étau

vorace de vie et des vécus virulents

le vent ornait mes pas de légèreté

de son souffle naquit la vie et la

violente bourrasque qui d'un voyage

entraînait ma virtuosité promise au sein

d'un monde où le vent errait pauvre à

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La Castratrice chauve

« Vous ne savez pas, non, vous ne pouvez pas savoir ! »

 

Elle avait dit ça en montant dans les octaves et sur ses grands chevaux, tenant une main au-dessus d’elle, l’autre cachée sous le drap, et dodelinant de la tête, comme une chanteuse d’opérette à genoux sur le matelas de la chambre, entre les cuisseaux écartés du mari. Elle ne portait rien, qu’un soutien-gorge où débordaient des seins massifs, monumentaux, et une culotte, très large, qui lui prenait le ventre jusqu’au nombril. Son maquillage dégoulinait de toutes parts, bavait de tous ses pores, comme une graisse supérieure, comme une cire coulante. Pour finir, elle riait faux, en vocalises aiguës, et son gros corps tremblait terriblement de tout son rire.

 

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Et s'amorce l'imperceptible mouvement des montagnes

Le récit est limpide, il prend le pas maintenant sur mes quelques souvenirs : il y a des hommes qui impriment à l’espace la cambrure de la moindre de leurs particules.

 

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L'Incendie

          C'est la nuit. Rouge. Et sale. Comme la dent qui défend la gueule de la panthère. Il fait chaud et partout la couleur danse, du sang, du vent, un air que Prom ne connaît pas. Moi Prom je me tiens droit. « Il faut se tenir droit », a dit le père, alors Prom appuie très fort ses jambes contre la terre, tire le dos et lance ses yeux dans le ciel. Tout là-haut sur les arbres le grand visage blanc a la forme d'une mangue, il brille et s'il y avait un lac, moi Prom je pourrais le voir tout entier flotter sur l'eau, et avec lui le ciel et les autres points blancs immobiles dans le noir.

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Œil angulaire

À chaque pas

le frôlement des feuilles mortes

soulève le teint amer

les passants

derrière un angle

courent

  

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Une Histoire de chatte

J'ai toujours trouvé à Céline un petit côté chatte. C'est le genre de fille, sensuelle et sombre, qui t'approche en ronronnant, ondule et te scrute d'un air séducteur, comme une invite muette, puis te griffe au moment où tu oses enfin la caresse. Elle te laisse croire qu'elle t'appartient, mais c'est elle qui te possède. L'apprivoiser, l'attraper et la perdre ont été trois épreuves dont je souffre encore les invisibles marques.

 

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Ouvre le bal

Ouvre le bal, petite, ouvre le bal. Ouvre le bien grand, bien large. Que tout ce qui tinte à tes pores puisse venir à nouveau faire cliqueter tes cellules, les entrechoquer au sein chaud, avide, de ton sang. Que les flux se chargent, se rechargent et s’épaississent. Que les marées montent en toi, salivantes, en écumes désirantes. Ouvre ton bal, petite, ouvre ton bal. Mets-y des cris, mets-y des rires, peut-être aussi des larmes, des coups - la violence n’est pas comme on pourrait le dire, comme on pourrait le croire, qu’une mauvaise composante dont il faudrait se méfier - mets-y des embrassades et des accolades mal affirmées, des coups de pied au cul lorsque tu te sens stagner, mets-y la sueur des chiots mal léchés, mets-y les tâtonnements de tes petites pattes, toutes frêles, tes pattes, toutes fébriles au sein des divergences, des contradictions, des émergences cabossées que tu portes, peu importe, ouvre le bal et mets-y toi et tout ce que tu traverses, tout ce qui te traverse, car c’est là que ça grince, petite, c’est là que ça coince, petite, c’est là que ça vit, c’est là que ça pointe. Peu importe si l’on y danse mal, peu importe si à trop se frotter on se blesse, peu importe les gestes maladroits, les élans qui se fracassent en toi, peu importe ton corps entrechoqué ne sachant tenir qu’à la cadence que réclame ta danse. Peu importe, petite, peu importe. Écris ton propre bal, ouvre-le en toi, autour de toi, ouvre-le, ouvre-le grand et large.

 

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